Romain Heinen, le futur directeur de l'administration de l'Enregistrement et des Domaines (AED), c'est un peu l'anti-Bleser, son prédécesseur qui a claqué la porte de la maison en la laissant sans chef pilote pendant plusieurs mois. Si les deux hommes ont en commun l'âme de grands commis de l'État, c'est sans doute tout ce qui les rattache. Pour le reste, tout les oppose, à commencer par leur formation. L'un était juriste, l'autre est un autodidacte, élevé dans le giron du ministère des Finances. Sans en être l'affidé, ni en partager d'ailleurs la couleur politique (il a failli se présenter sur la liste LSAP de sa commune), Romain Heinen reste tout de même très proche de Jean-Claude Juncker. Ce qui va sans doute l'aider à piloter l'AED. Sous le règne de Paul Bleser, les contacts avec le ministre titulaire avaient été perdus depuis cinq ans. Ce qui a d'ailleurs empêché l'administration d'entamer sa réforme.
La nomination de Romain Heinen, qui va fêter ses 41 ans cet été, heurte la sensibilité des tenants de la ligne académique, qui veulent que la haute fonction publique, et donc les carrières supérieures de l'État, soit un domaine réservé aux propriétaires de diplômes universitaires, minimum Bac+4. Le prochain locataire de l'AED, pour un mandat de sept ans, n'est titulaire lui, que d'un cycle court, type Bac +2. Il s'est forgé une place de conseiller de direction au ministère des Finances via la carrière ouverte, à la sueur de son front et en retroussant ses manches. Un parcours atypique qui plaide d'ailleurs en faveur de Romain Heinen, qui prendra ses fonctions le 2 mai prochain.
Il n'est pas un néophyte dans la matière de la fiscalité indirecte puisqu'il est responsable depuis dix ans du département TVA au ministère des Finances. À ce titre, il fut pendant longtemps l'interlocuteur de Paul Bleser. Si l'ancien directeur de l'AED, faute sans doute de trouver du répondant auprès de Jean-Claude Juncker, s'exprimait par presse interposée, Romain Heinen aura au moins une ligne directe avec le ministre des Finances himself, sinon avec ses plus proches collaborateurs. Le nouveau directeur de l'AED devrait agir dans la discrétion, loin des caméras de télévision. Il refuse du coup les interviews. Du moins pour l'heure.
Romain Heinene est entré en 1984 au ministère des Finances, comme agent de la carrière moyenne. Il grimpe l'échelon de la carrière supérieure en 1996 après avoir fréquenté les cours de formations interne. Il réussit les examens de l'administration de l'Enregistrement, des Contributions et sort major du concours de l'administration gouvernementale. Ce qui n'est pas donné à tout le monde. Il reconnaît d'ailleurs être le seul agent de la carrière supérieure à venir de la carrière moyenne.
Il aura besoin de tous ses dons et d'un soutien sans faille de son ministre pour relever les défis du pilotage de l'AED. D'abord sur le plan interne. La taxe d'abonnement des organismes de placement collectifs et les holdings 1929 rapportent plus de 450 millions d'euros par an (493 millions en 2005, selon le rapport de annuel de l'AED), mais des menaces pèsent sous leurs cieux. Les nuages les plus visibles assombrissent le champ des holdings qui sont dans le collimateur de la commission européenne et subissent parallèlement les assauts de l'OCDE. L'ampleur de la fraude à la TVA est un autre gros chantier à attaquer. Pour y arriver, un rapprochement des différentes administrations fiscales est nécessaire, ne serait-ce que pour mettre sur pied des équipes communes d'enquête. On est encore loin du compte, mais le projet de loi portant renforcement des structures de direction des administrations fiscale est un pas dans la bonne direction. L'AED, mais aussi l'administration des contributions directes et l'administration des douanes et accises seront bientôt gérées comme des entreprises privées avec un comité de direction composé de trois personnes : le directeur et deux adjoints. Les trois administrations seront par ailleurs chapeautées par un comité de coordination des administrations fiscales en prise directe avec le ministre des Finances. Le gouvernement cherche à optimiser, si tant est qu'elle le fut un jour, la coopération fiscale au niveau national dans l'espoir de lutter contre la fraude fiscale. Son projet de loi n'est sans doute pas à la hauteur des ambitions affichées, d'abord parce qu'aucun renforcement spectaculaire des effectifs n'est prévu. C'est du moins la principale critique venant de la chambre des fonctionnaires et employés publics.
L'Europe et les tentations de la Commission européenne de modifier les règles du jeu relatives au lieu de perception de la TVA et d'en harmoniser le taux en s'attaquant aux mécanismes de dérogations sont un autre volet du chantier auquel Romain Heinen devra s'atteler. La tâche est immense.
Véronique Poujol